On raconte qu´à une occasion un groupe de journalistes italiens a été stupéfait lorsque une prestigieuse critique d´art amoureuse de Venise qui visitait sa Biennale n´a pas inclus cette ville entre ses favorites, quelque chose que tous considéraient comme acquis. L´écrivain a répondu que c´était parce qu´elle ne considérait pas Venise comme une ville mais plutôt comme une rêve. Je me souviens que pendant que j´écoutais cette histoire au Café Florian, mes yeux ont cherché une preuve quelconque de la réalité de l´autre côté de la fenêtre qui donne sur la place San Marcos. Je me souviens d´avoir vu alors, comme un reflet dans l´eau peint par Canaletto, la façade du Palacio del Dogo, tremblant. Je me souviens d´avoir regarde de nouveau ma table de marbre et d´avoir pensé que, même si je n´avais jamais autant payé pour un cappuccino, celui-ci sera sans doute le café le moins cher que j´aurais pris dans ma vie. La sensation de vivre un rêve éveillé existe chaque fois que l´on loue des appartements à Venise. Cette même qualité quasi nomade de territoire liminal entre deux plans de l´existence semble parfumer une bonne partie de la littérature et de la vie inspirées par la ville. Peut-être depuis Marco Polo. Son compagnon de cellule a du avoir la même sensation d´être en train de pénétrer dans un rêve, quand ce premier lui parlait, fébrile, de ses voyages. A moins que, comme le suggère l´historienne Frances Wood, le rêve ne soit autre – nous revenons aux reflets – et Marco Polo ne serait jamais arrivé en Chine ( pourquoi ne mentionne-t-il jamais dans son livre...